Histoire, culture et libertéHistoire, culture et liberté
Pierre Bessone
Né le 29 juillet 1934 à Marseille (13)


- Comment as-tu connu Culture et Liberté ? D’après ce que tu m’as dit, l’histoire commence avant Culture et Liberté, à l’époque du CCO (Centre de culture ouvrière)…

En fait, j’ai connu le CCO après le rassemblement mondial de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) à Rome, en 1957. Après ce rassemblement, de nombreux aînés de la JOC, qui n’avaient pas rejoint l’ACO (Action catholique ouvrière), ont rejoint le CCO. En effet, l’un des premiers permanents du CCO, après Rome, était Dominique Alunni ; il a quitté la présidence de la JOC et il devenu secrétaire général de l’ICO-CCO. C’est à cette époque, à Marseille, que nous nous sommes réunis avec des anciens de la JOC et que nous avons déclaré l’association départementale CCO.

- Quelles étaient les activités à cette époque ?

Surtout des activités de week-end et des soirées de sensibilisation, portant sur différents problèmes de société, sur des problèmes particuliers touchant aux personnes : droit et vie quotidienne, économie… C’était aussi l’époque des soirées de sensibilisation à des thématiques comme la Sécurité Sociale, etc. Ensuite, ça a évolué vers des activités plus culturelles, des sorties et des week-ends avec des jeunes (qui étaient nombreux).

- Qui étaient les gens auxquels vous vous adressiez ?

Au départ, surtout des anciens de la JOC ; ensuite, ça s’est élargi à des jeunes, à des copains du quartier qui nous ont rejoints. Les anciens de la JOC ne se sont pas retrouvés dans d’autres structures. Certains n’étaient pas intéressés par une démarche politique et préféraient aller vers une démarche culturelle, de loisirs, une démarche associative.

- Que faisais-tu à l’époque ?

J’étais tourneur. Puis, j’ai mal tourné… et je suis devenu monteur en chauffage ; je m’occupais des installations techniques de chaudières à mazout. Cela correspond actuellement au poste de technicien en chauffage.

- Et ensuite ?

Les premières rencontres de fusion avec le MLO (Mouvement de libération ouvrière) ont eu lieu. Le MLO était né de la scission du MLP (Mouvement de libération du peuple), qui a débouché sur la création du MLO d’un côté et de l’autre du MPF (Mouvement populaire des familles). Or, le CCO comptait, en interne, des anciens du MLP, ce qui a entraîné des rapprochements, basés sur la sympathie et les relations des uns et des autres ; d’où l’idée d’une structure associative et culturelle comme Culture et Liberté.

En effet, le MLO avait la même démarche que le CCO : réaliser des activités de sensibilisation et formation. Il avait un potentiel et une implantation dans le nord et dans certaines régions… Nous fréquentions les mêmes types d’équipement pour réaliser les actions de formation, surtout sur la région parisienne. Les prémisses de la fusion, les premiers contacts, se basaient là-dessus : on s’apercevait que nous faisions des choses similaires, alors pourquoi ne pas regrouper les forces ? Il y a un rapport assez intéressant de Guy Baudrillart, qui date de la période de la fusion. C’était des notes d’introduction au premier conseil d’administration, antérieur à la fusion.

Le CCO de Marseille a participé au congrès de la fusion, en 1971. A Marseille, nous avons gardé l’appellation CCO car nous avions signé des conventions avec la municipalité en 1968 pour la gestion d’équipements socioculturels et nous n’avons pas voulu les remettre en cause auprès du conseil municipal en disant que nous passions du CCO à Culture et Liberté. Nous avons donc gardé le CCO et nous avons développé Culture et Liberté. Nous avons en fait développé les deux associations ensemble, jusqu’au moment où cela a commencé à poser quelques problèmes, en fonction de l’administration à laquelle nous nous adressions. Au départ, Culture et Liberté était indépendante, volait de ses propres ailes avec un peu d’aide du CCO. Ensuite, nous avons mis toutes les forces ensemble.

- Vous avez commencé à gérer des équipements en 1968. D’où viennent ces conventions avec la municipalité ?

La gestion des équipements est liée au démarrage de ce qu’on a appelé, dans les grandes cités, les « équipements sociaux ». Les premiers centres sociaux à Marseille datent, je pense, de 1961 ou 1962. Dans la conception des grandes ensembles, c’était aussi ce qu’on appelait « l’utilisation des mètres carrés sociaux » (une loi fameuse qui existe toujours, mais n’est pas toujours appliquée) : des mètres carrés sociaux étaient réservés pour que les gens puissent se réunir, se rencontrer et mener des activités culturelles et autres. Dans certains grands ensembles, le promoteur avait l’obligation de réaliser du bâti pour ces mètres carrés sociaux, ou il payait une cotisation à des organismes chargés de développer cette mesure.

Les Maisons des jeunes et de la culture existaient déjà, et des Maisons de jeunes se sont aussi développées (les deux structures n’étant pas identiques). Sur Marseille, en 1967, deux se sont créées, et après, ça s’est développé. Les premières créées ont été confiées à la gestion de Léo Lagrange car ce mouvement était proche du Parti socialiste (à Marseille, Gaston Defferre). Mais, de la part de certains élus et de la population, il y a eu quelques tiraillements ; donc, selon les quartiers, la municipalité a élargi la gestion de certains équipements à d’autres associations. A l’époque, le CCO n’y participait pas ; les élus avaient demandé aux Scouts de France, qui avaient refusé, puis ils s’étaient rabattus sur l’OCAJ (Organisation des centres de vacances et de loisirs pour la jeunesse). L’OCAJ a pris en gestion la Maison pour tous de la Pauline mais, au bout de six mois ou un an, ils se sont cassés la figure et ils ont abandonné… Alors, un peu en catastrophe, un adjoint municipal à la Jeunesse a demandé au CCO de reprendre l’équipement de la Pauline. C’est à ce moment que le CCO est venu me chercher et m’a demandé si je voulais m’occuper de la Pauline. Un mois ou deux avant, la municipalité avait aussi demandé au CCO de gérer un équipement sur Saint-Barnabé ; José Mourenon y a alors été embauché, fin 1967. Puis, elle nous a sollicités pour la Pauline. Je suis donc arrivé comme directeur de l’équipement au 1er avril 1968 (il y a quarante ans).

Je n’avais aucune formation à ce niveau. Mais je connaissais le quartier, les gens, et j’avais une expérience militante au niveau du CCO et de la JOC. Quand je suis rentré de l’armée, j’avais travaillé pour une boîte qui fabriquait des chauffe-eau électriques, comme mécanicien dans un atelier, comme ajusteur. Avec des copains du quartier qui travaillaient aussi dans la boîte, nous avions monté une section syndicale (l’entreprise n’en avait pas, au départ). Je m’étais bagarré pour en créer une, et j’avais été viré par mon employeur, en tant que meneur de l’initiative, comme un malpropre… J’avais cette expérience du milieu ouvrier.

Le 1er avril 1968, l’équipement a été ouvert, quinze jours avant les premiers événements. Il y avait eu des manifestations les 16 et 29 mars, à Paris, des barricades. A Marseille, le 1er avril, des entreprises avaient commencé à se mettre en grève. L’équipement que je gérais a été le point de ralliement d’un collectif d’entraide aux grévistes. Pendant une partie d’avril et tout le mois de mai, c’était un entrepôt de vivres pour les chômeurs. Nous avons encore des photos d’époque qui en témoignent…

- Pour Culture et Liberté, peux-tu me citer un événement marquant ?

J’ai réfléchi, et pour Culture et Liberté, je n’en ai pas à proprement parler. Ça a toujours été une activité renouvelée… La seule chose qui m’a semblé significative, pour les gens de Marseille, a été l’organisation du congrès, en 1984, qui a constitué un tournant important et a donné un élan à l’association. Au point de vue des anecdotes, ceux qui ont participé à ce congrès de Marseille se souviennent que, le samedi soir, nous avons dû enlever tous les panneaux installés dans le hall du Palais des Congrès, parce que Jean-Claude Gaudin y tenait un meeting. C’est resté un souvenir, au niveau de notre association.

Mais je n’ai pas de souvenir de fait véritablement marquant, si ce n’est les grandes rigolades que nous avons eues avec les permanents. Tu sais, Marseille, c’est particulier… Quand nous montions avec José Mourenon à une rencontre nationale, les gens disaient : « Marseille, c’est spécial… ». Il y avait une autre façon de gérer, de voir les choses. Et nous nous en sommes bien portés, puisque nous sommes une des rares associations qui avons encore un potentiel important. Nous continuons à nous développer et nous ne sommes jamais tombés. Nous avons duré et multiplié nos actions, dans notre domaine.

- Et alors, cette célèbre histoire de corbillard ?

Quand nous avons géré le premier équipement à Saint-Barnabé, en 1968, puis ensuite pour la Pauline, José Mourenon avait acquis une camionnette Renault corbillard (l’avant était complètement aplati), pour transporter le matériel des deux établissements. Nous l’utilisions aussi pour des rencontres ou des stages de formation ; nous avons ainsi eu l’occasion d’aller à Monaco ou au CREPS de Saint-Raphaël, pour des stages audio-visuels. Nous transportions aussi des personnes dans ce corbillard. C’était un véhicule rafistolé de tous les bords. A l’époque, l’obligation des contrôles techniques n’existait pas encore ; sinon, il n’aurait jamais roulé. C’est resté dans les mémoires, car après, ce corbillard a traîné dans la cour de l’équipement de Saint-Barnabé, pendant un certain temps.

- Finalement, que représente Culture et Liberté pour toi ?

C’est un mouvement d’éducation populaire, qui a vocation, comme on dit, au « développement culturel du monde du travail ». Je pense que c’est une association qui a son importance et qui a fait un boulot formidable, mais c’est un peu comme au PSU de l’époque : nous avons de très bonnes idées, mais de grosses difficultés à les faire partager par d’autres.

A Culture et Liberté, j’ai vu passer pas mal de gens, qui sont ensuite allés ailleurs et se sont bien développés. C’est un peu un lieu de passage, comme le PSU. Les gens y passent, y prennent et y laissent quelque chose ; ils s’alimentent et ils s’en vont ; en s’alimentant, ils alimentent les autres. J’ai vu passé une ribambelle de personnes qui ont adhéré ou participé à Culture et Liberté, dans le cadre de formations, et je les retrouve par ailleurs.

Tu sais que j’ai eu la légion d’honneur. Je l’avais avant mais… En fait, pour avoir la légion d’honneur, il faut que quelqu’un te la remette. Or, pour un tas de raisons, notamment politiques, je n’ai pas voulu que ce soit certaines personnes… et j’ai attendu, attendu. Finalement, après avoir été relancé deux ou trois fois, j’ai décidé de me la faire remettre par le Conseiller général du quartier. A l’occasion de la remise du diplôme de la légion d’honneur par le préfet, ils organisent une cérémonie, et j’y ai rencontré un ancien adhérent de Culture, qui avait participé avec nous à la réalisation d’une étude sur la formation des élus locaux de la région. Il m’a dit qu’effectivement, son passage à Culture et Liberté lui a permis d’avoir une autre vision, de faire des choses très intéressantes. Il ne nous a jamais rappelés, mais il a quand même suivi ce qui se faisait chez nous, dans différents domaines. Il y a beaucoup de personnes comme ça.

On ne voit pas toujours clairement ce qu’on plante et un beau jour, on apprend que cela a servi. En vieillissant, certaines gens le reconnaissent. Ce n’est pas évident sur le coup, mais quand on réfléchit et qu’on observe que, actuellement, certains organismes ou responsables prônent, pour les jeunes et les familles, une formation au droit de la vie quotidienne, eh bien, il y a 40 ans, nous le faisions ! Le CCO le faisait, et Culture et Liberté l’a fait ensuite, à travers les stages avec les comités d’entreprise et les individus. Nous avons marqué, et nous continuerons à marquer, même si nous avons évolué un peu autrement.

- Il y a une évolution, ne serait-ce que par rapport aux gens auxquels vous vous adressez…

Oui, les problèmes sont tout à fait différents. Nous vivons dans un monde où tout va tellement vite…

Propos recueillis par Anne Meyer, mars 2007


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